Si l'on regarde passer dans une rue de Versailles, Paul-Armand, le héros de ce roman, on voit un homme sûr de son statut, à la mine pas vraiment attirante, avec à son bras une dame bien mise, portant vraisemblablement tous les codes vestimentaires de cette bourgeoisie locale suffisante. Leur fille, après des études dans une bonne institution privée, vient de donner naissance à un héritier mâle, permettant ainsi de sauver leur patrimoine des griffes de l'état. Fréquentant l'église de leur quartier huppé, on les imagine bien manifestant contre le mariage gay, et totalement investis dans les fêtes de charité que les gens nantis organisent pour s'assurer, à défaut d'une vraie empathie pour la pauvreté pas vraiment ambiante, un place au paradis.
Tout l'art du roman de Caroline Pascal est de démonter, de gratter, d'enlever le vernis de cette belle image. Car si Paul-Armand est bien cet homme au port guindé et coincé, à la suffisance indéniable, le chemin a été long pour y arriver. Le parcours on ne peut plus cahotique de cet homme, est raconté à rebours, d'aujourd'hui jusqu'à sa naissance . Car Paul-Armand s'est créé un personnage. Il a du batailler ferme entre sa laideur de naissance, assez repoussante, ses deux mariages, l'emprise de la boisson, son manque de père, la mort subite de sa mère et sa bâtardise.
On pourra trouver ce procédé narratif inutile, voire difficilement accrocheur au début, mais très vite, il apparaît comme évident. En remontant le fil du temps, on enlève ainsi toutes les couches successives qui ont permis à cet homme de se construire, découvrant ainsi, petit à petit, une vérité enfouie au plus profond de lui.
Portrait assez cinglant de cette bourgeoisie versaillaise, sûre d'elle et cynique, camouflant de moches secrets derrière les lambris dorés des beaux appartements, "L'envers d'une vie" est également une fresque historique sur une génération d'après guerre, ébranlée et bouleversée par des changements qu'elle refuse de voir comme inéluctables.
Porté par une très belle écriture au classicisme parfaitement adapté au milieu décrit, j'ai été sensible à ce portrait d'homme qui avait tout pour m'apparaître détestable mais qui, au fil des pages, arrive à devenir attachant. Ballotté par l'Histoire, blessé par la vie, mis à l'écart pour sa laideur, le chemin de Paul-Armand laisse entrevoir que sous les costumes bien coupés et les lodens, et malgré la sauvegarde des apparences, se camoufle quelquefois des destins insolites et moins compassés qu'il n'y paraît.
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