samedi 3 octobre 2015

Les amygdales de Gérard Lefort



L'ancien journaliste de Libération, Gérard Lefort sort son premier roman cette rentrée. Assez amateur de ses écrits ainsi que de feux ses émissions sur France Inter il y a fort longtemps, j'ai même failli le voir cet été au festival d'Avignon dans un one-man-show. Failli, car, le spectacle réservé à la va-vite juste sur son nom, s'est révélé non pas un nouveau défi de cet esprit curieux et caustique mais celui d'un homonyme antillais et paraplégique dont l'humour potache fait passer Patrick Sébastien pour un émule de Jules Renard.
C'est donc encore plus assoiffé de Gérard Lefort, que je me suis jeté sur "Les amygdales" récit aux apparences auto-biographiques et centré sur cet âge délicat de l'enfance situé juste avant de verser dans cet âge ingrat de l'adolescence. Le jeune héros, jamais nommé, vit en province dans une grande maison ostentatoire avec ses parents, bourgeois en parfaite adéquation avec leur demeure. Bien sûr, il n'est pas fils unique (enfin quoââ), deux frères plus âgés et une jeune soeur, Corinne, la seule nommée même si le prénom est à la noix. (ça c'est le narrateur qui le dit...), complètent cette fratrie pas mal dépareillée. Vont se succéder des chapitres qui pourraient être presque des nouvelles, relatant différentes anecdotes de cette enfance qui a la politesse de ne pas jouer sur la corde sensible et gnangnan du moment le plus merveilleux de la vie ( vous savez ces clichés bien pensants auquel on peuvent s'ajouter celui du mariage et de la naissance du gosse).
La facilité du livre aurait été de rester sur la description de ce milieu bourgeois de province. La mère,  personnage grandiose, ridicule et haut en couleur, figure hautement comique et croquée avec une acidité réjouissante pouvait nous réjouir sur 200 pages sans problème. Pas maternelle pour deux sous, on a des enfants parce que ça fait bien dans le cadre et pour le voisinage, sa préoccupation première sont ses mondanités. La progéniture doit bien se tenir et surtout se faire oublier. Ca tombe bien pour le jeune narrateur c'est dans ces interstices ainsi libérés par cette envie de vivre selon un rang, qu'il va appréhender la vie,  ses dangers, ses expériences, ses joies. Ainsi le roman va prendre des chemins plus ambitieux, mêlant souvenirs croquignolets et peinture de ces instants d'ennuis où l'on s'invente des mondes et des histoires dans la tête. Tel un petit rebelle silencieux, l'enfant non nommé va se glisser hors de la sphère familiale, assez toxique faut bien le dire, pour découvrir un monde pas plus rassurant. Prêtre exhibitionniste, camarades de classes tortionnaires dans le pire des cas, moqueurs dans le meilleur. Il découvrira que la différence qu'il pressent est et sera dure à vivre. Il découvrira le mensonge mais aussi quelques amitiés, souvent des égarés des normes en cours comme lui. Et indispensables bulles de survie il va, comme tous les enfants, jouer, jouer à inventer des mondes et des histoires. Il sera tour à tour passager héroïque de premier classe sur le Titanic ou un brillant ingénieur spécialiser en hydraulique déjouant le fureur des eaux s'attaquant à un barrage. C'est ce va et vient entre rêve et réalité qui fait le sel de ce roman qui lui donne ce caractère assez original qui l'éloigne des sempiternels souvenirs de jeunesse. Mais c'est également l'écriture très acidulée de Gérard Lefort qui fait mouche, évitant tout pathos, tout effet larmoyant ou sirupeux, préférant brosser un portrait d'enfant extraordinairement réaliste, admirable mélange de spontanéité, de réserve et de perfide rouerie face aux adultes. Toutefois, et c'est peut être le travers des premiers romans, j'ai parfois ressenti des moments un peu scolaires dans la narration, une accumulation d'énumérations ou de précisions un peu lourdaudes ( dans l'évocation de Tintin comme ouvrages d'initiation au monde notamment), comme si' l'enfant d'hier avait encore besoin de prouver des choses aujourd'hui.
Foin de ce bémol, "Les amygdales" reste un roman qui saura parler aux enfants qui sont encore en nous tous et loin des récits par trop retenus ou idéalisés, Gérard Lefort nous offre un texte aussi poétique qu'un Prévert ou un Tati et aussi mordant qu'un Mauriac, l'humour en plus.

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