samedi 14 septembre 2013

Manuel de survie à l'usage des incapables de Thomas Gunzig

7

Ce qu'il y a de raté dans ce surprenant roman, c'est le titre, car tout le reste est un régal ! Loin d'être un de ces livres pseudo-pratiques, vaguement rigolards et souvent pas drôles, ce "Manuel de survie à l'usage des incapables" est à l'image du monde et des personnages qu'il met en scène : glaçant et hybride. Sa lecture en est passionnante et est de celles que vous ne lâchez pas avant d'avoir lu la dernière phrase.
Résumer l'intrigue est un peu difficile tellement le récit file à cent à l'heure et brasse avec dextérité thèmes et action. Pour faire court, le licenciement abusif d'une caissière d'un hypermarché tourne mal, la renvoyée trouve la mort suite à un sale concours de circonstances. Jean-Jean, vigile sans ambition, devient la cible des enfants de feu l'hôtesse de caisse, malfrats violents, sans foi, ni loi, qui n'ont qu'un but, éliminer celui qui est à l'origine du décès de leur mère. Seulement, ce qui partait pour être une simple routine, se complique avec l'arrivée de deux femmes redoutables : Marianne, l'épouse de Jean-Jean, cadre commercial sans l'ombre d'un scrupule et dont les calculs de carrière font passer le pdg d'Amazon pour un saint et Blanche, démineuse de problèmes au sein du staff de la chaîne d'hypermarchés, froide et efficace quand il s'agit de sauver l'image de marque de son groupe. 
Sur ce canevas, proche du polar, s'engage une course poursuite haletante, dont les courts chapitres maintiennent en haleine le lecteur comme le plus efficace des thrillers. Mais ce qui fait la différence ici, c'est la toile de fond, description hyper réaliste d'un monde où le commerce est devenu roi, où les humains ne sont que les pions automatisés d'un système parvenu au bout du bout de sa terrible logique. Au fil des pages, cet univers qui au départ ressemblait au notre, se révélera totalement déshumanisé, en proie à une folie libérale poussée à l'extrême et dont la survie n'est due qu'à une sorte de croisement des individus avec ... Mais chut !!! Je laisse la surprise, qui bien que flirtant avec la science-fiction (genre auquel j'ai bien souvent du mal à adhérer), transforme ce roman en une fable glaçante et ... ironique. Car, il y a un autre plaisir que nous procure ce livre, c'est l'humour constant qui l'irrigue, noir souvent, grinçant toujours, mais surtout jubilatoire. 
Très jolie découverte donc que ce roman inclassable de Thomas Gunzig, modèle hybride de polar rigolo avec un léger nappage de science-fiction, qui allie avec talent, plaisir de lecture et réflexion sur un monde que nous installons petit à petit...
Je ne résiste pas à vous faire lire un court passage qui donne une idée du ton général : 
" Jean-Jean était né sous la lumière un peu crue de l'éclairage néon d'une maternité sans nom jouxtant les quais de chargement autoroutiers d'une grande centrale d'achat. Sa vie allait être, au début du moins, relativement pareille à celle des autres enfants de son âge : il avait grandi avec ses parents dans les cinquante mètres carrés d'un appartement qu'un architecte était parvenu à diviser en une cuisine semi-équipée, une salle à manger, un living, une salle de bains avec toilettes, deux chambres et une terrasse juste assez large pour y déposer les sacs-poubelle lorsqu'ils étaient pleins. Durant les trois premières années de sa vie, il passa de longues journées dans une crèche surchauffée qui sentait le chou dès 7 heures du matin, l'urine dès 1 heure de l'après-midi et l'eau de Javel le reste du temps. "


Livre lu dans le cadre de masse critique du site BABELIO

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