samedi 12 mai 2018

Paris-Venise de Florent Oiseau



Un roman avec pour toile de fond des migrants et qui parvient à être drôle ! Comment est-ce possible ?  Comment avec une humanité fuyant un régime dictatorial, une guerre, des persécutions, des religieux fanatiques, des régions pillées de ses ressources par l'Occident, peut-elle se concilier avec un roman qui arrive à faire sourire ? En littérature, tout est possible, c'est juste une question de talent et de regard. Florent oiseau ( un joli nom léger et aérien) parvient à réunir ce qui paraissait inenvisageable.
Evidemment, face à un tel thème, à cet océan de souffrances, il convient de biaiser un peu le propos. Non, il ne nous place pas dans une de ces embarcations précaires qui errent sur la Méditerranée, radeaux honteux de nos sociétés éprises de libéralisme et de violence. Il est très difficile d'esquisser le moindre sourire de cette misère fabriquée par notre gourmandise. Florent Oiseau préfère porter son récit dans un train, un Paris-Venise, embarcation plus stable où l'on ne risque pas trop de mourir, juste d'être arrêté par la police pour être renvoyé dans son pays d'origine ou dans un centre d'hébergement. Le train grâce à sa longueur, offre beaucoup de possibilités de s'embarquer clandestinement vers un supposé El Dorado, surtout qu'il est peuplé d'employés, comme le narrateur, qui ne sont pas loin d'être des galériens de notre société de profits.
Roman ( c'est le prénom du héros ...pas l'objet !), gentil, honnête, habitant une triste banlieue, spécialiste des petits boulots sans lendemain, trouve un emploi au long cours dans une compagnie ferroviaire privée qui assure quotidiennement une liaison Paris-Venise. Attention, rien à voir avec le mythique Orient Express. Ici, il s'agit de réutiliser un matériel à bout de course avec un service minimal facturé assez cher pour des voyageurs peu regardants. En comparaison, monter dans un TER donne l'impression d'être en classe business... Le boulot, payé au lance-pierre, nourrit à peine son homme et on ne s'étonnera pas qu'au sein de ce système, les travailleurs redoublent d'imagination pour améliorer leur ordinaire (manger Picard ou lieu de LIDL au moins deux fois par mois).
Roman apprendra vite que les petites combines mettent du râpé sur les pâtes et que d'autres, nettement plus rémunératrices, peuvent faire gagner un petit jackpot. Il suffit pour cela d'exploiter la misère humaine en saignant un peu plus quelques migrants désireux d'embarquer clandestinement..;
Le roman ( le livre donc...) empoigne avec finesse ce commerce humain, situant le lecteur à la bonne place... celle du français sous payé, qui ne veut pas d'ennui, qui est tenté ...qui souffrira d'entailler ses valeurs, son honnêteté  qui lui tiennent lieu de tuteur moral. Il découvrira aussi dans ces silhouettes furtives, hagardes, implorantes, apeurées, des humains, encore plus ligotés que lui  par la situation abjecte dans laquelle les ont plongés nos dirigeants politiques, mais aussi des récits de vies bousillées.
Bien sûr, le roman ne propose aucune solution mais pose bien le doigt où ça fait mal, au plus près de notre conscience d'occidentaux blancs et aisés.
Et l'humour dans tout ça ? Où se glisse-t-il ? Partout ! Et sans jamais faiblir tout au long de ces 200 pages. L'auteur regarde le monde tel qu'il est. Avec la politesse de ceux qui doutent, il arrive à trouver la tendresse nécessaire, le regard qu'il faut pour n'être jamais moqueur mais toujours avoir assez de dérision pour prendre le recul nécessaire.  Même si l'on peut parfois rire ...jaune , cet humour effectivement bien désespéré, fait chaud au cœur dans un monde sans morale.

2 commentaires:

  1. Hum, pas trop le moment pour moi, trop de réalité, pas besoin de fiction;

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  2. "Je vais m'y mettre" à lire Oiseau et rattraper mon retard. Quant à "Paris Venise", merci pour ce billet en 1ère classe littéraire!

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