lundi 7 janvier 2013

Paradis : amour d'Ulrich Seidl



Ne vous fiez pas au titre ! Rien de paradisiaque ni de sentimental dans ce film autrichien, seulement une histoire réaliste sur les rapports Nord/Sud.  Je dis souvent que je n'aime pas les films aimables, là, j'ai été servi ! "Paradis: amour" est du cinéma qui ne cherche pas à faire plaisir mais à décrire la réalité sans édulcorer ni enjoliver.
Dès la première scène, nous sommes fixés. Nous assistons au ballet bruyant et criard d'auto-tamponneuses conduites par des ados débiles profonds, surveillé d'un oeil fatigué par Thérésa leur éducatrice quarantenaire.
Elle est fatiguée cette femme mais heureuse car ce sont les vacances pour elle qui s'annoncent. Elle va laisser en Autriche sa fille, adolescente très ingrate, de l'espèce des ruminantes aux écouteurs greffés aux oreilles et dont le vocabulaire est une variante bougonne du borborygme , pour passer, seule, quelques jours au Kenya.
Le club de vacances où elle va séjourner n'a rien de particulier : accueil folklorique sans chaleur, construction  faussement authentique et plage privée interdite aux autochtones. Entre plage et mer, une barrière séparera les touristes des locaux qui attendent, les mains remplies de colifichets, que les vacanciers veuillent bien franchir cette frontière pour aller faire trempette. Mais ici, le commerce local ne fournit pas que de la bijouterie fantaisie, il propose aussi et surtout du plaisir.
Thérésa, chaperonnée par quelques habituées du lieu, va , elle aussi, succomber aux charmes des peaux noires et au bagout de jeunes africains prêts à tout pour attirer dans leur lit ces femmes mures et à leurs yeux riches. 
Thérésa est une femme normale, potelée, ne répondant pas aux canons de la beauté que les occidentaux matraquent insidieusement sur les écrans et les magazines. Quand un beau et jeune noir lui renvoie d'elle une image désirable, elle se laisse faire, plongeant la tête la première dans cette occasion un peu inattendue. Mais très vite son statut de femme blanche forcément riche va brouiller cette romance, les demandes d'argent vont arriver.
Filmé à la manière d'un reportage, Ulrich Seidl, le réalisateur, certes en empathie avec ses personnages principaux, ne nous épargnent aucune séance de tripotage, de tentative d'amour charnel, aucun commentaire aux relents racistes ni aucune aération du récit non plus. Durant deux heures, le film enfonce le clou sur ce néo-colonialisme touristique. Il y a du rêve de part et d'autre mais aucune rencontre réelle n'est possible, chaque chose a un prix et il faut payer.
Le spectateur est mal à l'aise, renvoyé à ses propres doutes. Le point culminant de ce film est la très (trop ?) longue scène d'anniversaire de Thérésa. Ses nouvelles amies lui offrent pour la soirée un jeune homme noir, mal à l'aise. Le cadeau prend vite l'allure d'un jeu totalement dégradant où la gagnante sera celle qui arrivera la première à faire bander le cadeau. Et chacune va essayer tout à tour de faire dresser ce sexe qui n'en a guère envie malgré les caresses, les bisous ou les masturbations mammaires. Le malaise est général dans la salle, les spectateurs se trémoussent sur leurs sièges devant ces images évidemment racistes et glauques mais qui sont également une allégorie de nos relations avec l'Afrique. Elles présentent aussi une scène assez inédite d'homme objet, soumis aux désirs avinés de femmes vulgaires. Vous me direz que cela participe à un certain rééquilibrage , car d'habitude c'est le lot des femmes ce genre de scènes. Mais ici, ce n'est pas Brad Pitt ou Georges Clooney qui se tortillent à poil dans une sordide chambre d'hôtel mais un pauvre noir au regard triste, livré à des humains aux repères dévoyés. Ma vision masculine fausse peut être la perception de cette scène, mais le regard apeuré du jeune kenyan en dit long sur son humiliation et son oppression.
"Paradis : amour" est un film difficile à aimer à cause de sa radicalité, excluant toute tentative de romanesque. Mais son propos est celui d'un essai sociologique qui nous montre le monde tel qu'il est, sans jugement moral, avec sa laideur qui déborde de partout mais aussi avec des êtres qui font ce qu'ils peuvent pour y échapper.




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