samedi 23 février 2013

Les saisons de l'envol de Manjushree Thapa


Je dois le reconnaître, lire un roman népalais ne m'arrive pas tous les jours et c'est la tête pleine de clichés d'occidental besogneux que je me suis plongé dans "Les saisons de l'envol" de Manjushree Thapa. Et c'est au bout de quelques pages que tous ces clichés de froidure himalayenne, de tiers-monde misérable et de vie austère et frugale, ont volé en éclat et que je me suis laissé emporter par le destin de Prema, jeune népalaise diplômée d'écologie forestière, qui, au hasard d'une loterie, gagne une green card pour les USA. Désireuse de profiter de cette opportunité, elle abandonne son pays qui entre dans la guerre civile, laisse sa famille dans un village perdu et s'envole pour Los Angeles dans l'espoir de prendre un nouveau départ.
Déracinée, forte d'une vie intérieure intense, Prema va essayer de donner un sens à sa vie dans un pays dans lequel elle n'avait, fort heureusement, jamais projeté le moindre rêve idéaliste. La réalité américaine, d'une rudesse autre qu'au Népal, ne la satisfait pas vraiment. Par atavisme sans doute, elle mènera d'abord une vie d'immigrée solitaire et travailleuse, ne connaissant de sa ville d'adoption que son lieu de travail dans un quartier minable et son lit. Petit à petit, elle va s'ouvrir doucement au monde qui l'entoure, se bousculer un peu, rencontrer des gens, entamer une vie amoureuse qui va lui révéler les plaisirs du corps et abandonner petit  à petit son identité népalaise pour s'américaniser. Mais le doute va l'étreindre. Est-ce vraiment la vie qu'elle désire au fond d'elle ? Toute cette vie consumériste a-t-elle vraiment un sens ?
Récit du déracinement autant que d'apprentissage, "Les saisons de l'envol" est un formidable roman, simple, tendre et même finement transgressif. En racontant magnifiquement et élégamment cette histoire sans rebondissements intempestifs, sans pathos parce que sans drame véritable, Manjushree Thapa a en plus le talent de nous faire aimer une vraie héroïne loin des normes traditionnelles du roman bourgeois actuel et lénifiant (cf "Le roman du mariage" de Jeffrey Eugenides, ultra conservatrice évocation d'une jeunesse dorée américaine). Prema, en refusant tous les codes éculés d'une vie occidentale sous perfusion, devient sous la plume talentueuse de cette auteure, une grande héroïne féministe. En écartant la religion toujours au service des mâles ou de piqués étatsuniens à la recherche d'un ésotérisme de pacotille, en assumant fermement son refus de la conjugalité et de la maternité et en désirant donner à sa vie une direction plus humaine et plus écologique, Manjushree Thapa nous offre un roman très moderne et hautement symbolique.
Avec son écriture à la portée de tous, ce roman est une petite merveille à découvrir sans hésiter. Il est la preuve qu'en littérature, il est essentiel de lire ces écrivains lointains qui ont une sensibilité autre et qui ont infiniment plus de choses à nous dire sur le monde que tous ces romanciers de salon ou d'université qui ronronnent sottement en se caressant leur nombril.
Pour moi, une véritable découverte et un gros coup de coeur.

2 commentaires:

  1. Au contraire, je n'ai pas trouvé l'écriture particulièrement belle; tout comme je n'ai pas spécialement été convaincue par cette histoire.

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  2. D'accord avec toi pour l'écriture, modeste, qui ne joue pas les gros bras mais en parfait accord avec le personnage principal. Je pense que l'auteur n'a pas voulu faire oeuvre essentiellement littéraire, voulant que son texte soit lisible par le plus grand nombre et ainsi délivrer plus universellement son message.

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