jeudi 3 avril 2014

Le pain nu de Mohamed Choukri


Je connaissais de nom Mohamed Choukri mais, je l'avoue, rien de son oeuvre. Un ami, qui a été profondément marqué par " Le pain nu", me l'a chaudement conseillé sans me divulguer quoique ce soit. Par curiosité,  je me suis plongé dans ce livre culte (dixit la quatrième de couverture) sans aucun à priori, sauf peut être l'idée de découvrir une chef d'oeuvre.
Ce n'est pas un roman mais le récit autobiographique d'un enfant puis d'un adolescent pauvre dans le Maroc des années 40/50. Famine, exil, père ultra violent, délinquance, sexe, drogue, l'alcool, l'errance composent l'essentiel de la vie du jeune Mohamed. Le récit nous le présente au moment où son père tue son frère après une correction trop violente. S'en suivra une longue descente dans les bas fonds, alternance de rapines, de violence et de percées plus ensoleillées pour mieux retomber dans le chaos.
Cette jeunesse absolument terrifiante, dans ce texte brut peut, c'est certain, marquer les esprits. Tous les ingrédient y sont pour y éprouver répulsion, horreur, pitié. Cependant, même si j'ai lu avec attention ce récit, son intérêt n'est peut être pas du tout littéraire. Malgré une traduction de Tahar Ben Jelloun, dont j'ai cru percevoir l'empreinte notamment dans les scènes sexuelles, la description très factuelle des événements et des dialogues sans grand intérêt, ne m'ont pas permis de ressentir grand chose. Sans l'appui d'une vraie écriture, ces événements, aussi terribles soient-ils, n'ont guère eu d'impact sur moi. Ils m'ont paru n'être qu'une accumulation simple, sans véritable saveur et qui, mise en regard avec la multitude d'autres souvenirs de même type, pour certains plus littéraires, ne supportent pas vraiment la comparaison. Le plus marquant reste surement cette violence latente qui sourd  partout dans le livre, violence de ceux qui vivent dans le dénuement et qui ne possèdent que peu de mots pour l'exprimer.
L'intérêt de ce livre est, je pense, de le remettre dans son historicité. Paru en anglais dans les années 70 (avec une traduction de Paul Bowles, véritable sésame pour les branchés), puis au début des années 80 en français, son propos a du surprendre et évidemment choquer. La violence faite aux femmes et aux enfants au Maroc y est décrite sans détour, sans pudeur, sans jugement aussi, comme normale dans ces années 40/50. L'usage de la drogue, et dès le plus jeune âge, y est présentée comme banale et totalement libre. Et que dire de la description de la sexualité qui taraude le jeune héros ? Elle est présente partout dans le livre, mais très loin de la représentation cliché d'une ode au sensuel dans les vapeurs embrumées d'un quelconque hammam oriental. Ici, les hommes ne cherchent qu'à satisfaire leurs plaisirs rapidement, bestialement mais quelquefois amoureusement. Les femmes sont souvent dans ou au bord d'entrer au bordel ou tout du moins brûlantes de sensualité. Au milieu de la satisfaction de tous ces plaisirs, la religion arrive encore à se faire une petite place, mais avec pour seule fonction de continuer à perpétuer quelques traditions ancestrales parfois idiotes. On comprend donc pourquoi ce livre fut interdit jusqu'au début du 21ème siècle dans les pays du Maghreb, acquit ainsi un caractère sulfureux et donc une aura de livre culte.
Au regard de ce parcours, il est évident que "Le pain nu" est un livre qui a fait date, qui a marqué son époque par l'extrême trivialité de son propos et qu'il aurait peut être fallu que j'ai cela en tête au moment de ma lecture. Hélas, le style très pauvre de l'ensemble n'arrive pas, à mon avis, à transcender le propos et lui donner le caractère d'une véritable oeuvre littéraire. Reste un document édifiant sur la vie des pauvres au Maroc dans les années 50.
PS : Bien sûr, l'ami qui m'a conseillé ce livre a réagi. Lisez son avis dans les commentaires, ça lance le débat !



4 commentaires:

  1. Pas très envie de lire ce livre. Ta chronique me fait penser à celles concernant Eddy belle gueule. Un témoignage dur, mais pauvre littérairement

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  2. Commentaire de l'ami qui m'a conseillé le livre :
    Peut être faut il admettre que la littérature ne touche pas exclusivement aux mots écrits, posés‏. La rudesse de l'écriture, que tu décris comme pauvre, est aussi en adéquation avec ce qui veut nous être donné à voir‏. L'histoire touche aussi à la question du Rif‏, des mouvements de population,‏ de la pauvreté‏, de la survie,‏ d'une certaine animalité ‏et pour le personnage à une certaine liberté‏, une liberté de survie‏, une liberté avec ses failles‏, ses côtés moches, ‏l'empreinte‏ d'une situation‏ économique‏, humaine‏. C'est en cela que je te parlais de fulgurance‏ et c'est là je crois que la richesse du texte s'exprime‏. Un jet‏ brut‏, sans concession, ‏ni pour l'histoire‏, ni pour l'auteur‏, la mise à nu d'une société‏ à un moment donné‏. Aucune écriture policée, glamour, enrobée n'aurait pu rendre cette frontalité telle qu'exprimée‏ et d'une certaine façon cette poésie violente et non aimable‏. Je reste persuadé que résumer l'intérêt de ce livre à moment de l'Histoire c'est le restreindre‏ d'autant que cette histoire n'est pas terminée que ce soit au Maroc ou ailleurs (et peut être même en France si on regarde certaines situations‏), résumer le livre ainsi c'est peut être aussi fermer une porte de la littérature‏, son caractère culte à mon avis ne touche pas à son interdiction‏ liée à une époque‏, ce livre peut interpeller encore tout aussi vivement aujourd'hui‏. Certes le moment où il a été écrit est important‏, sa rudesse n'était pas chose commune‏. Le style ne peut être tout‏. S'arrêter à cela, à la forme, serait ne reconnaître la possibilité de littérature qu'aux instruits, qu'à ceux qui possèdent l'écriture‏. Au-delà de la forme qui se traduit aussi par le niveau de l'instruction de l'auteur qui va d'ailleurs ne faire que croître au cours de sa vie‏, cette forme est comme un cri‏, un moyen d'arriver aux tripes‏. Une oeuvre ne traverse jamais les années uniquement par le caractère subversif. A un moment donné‏, elle ne traverse le temps que par une universalité‏. Je crois donc que les rééditions successives, régulières de ce livre et particulièrement ces dernières années, démontrent bien la dimension universelle qu'il porte‏.

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    1. Je l'ai lu en 1981, ce fut un choc, pas littéraire mais comme témoignage dans cette region du RIF ( region de la drogue, de la guerre) Je viens de le relire, C'est toujours un coup de poing sur l'enfance bafouée même si le coté littéraire ne me parait pas en premier plan!

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  3. Bonjour,
    Je n'ai jamais lu de traductions de ce livre en français, j'ai eu l'occasion de lire dans sa version originale, de l'écrivain au lecteur, du temps où il était censuré au Maroc.

    Je peux par conséquent vous affirmer que sa qualité littéraire est bien présente à ne pas en douter ! Une écriture à l'état brut qui colle à la réalité, si bien que je me souviens encore comment les scènes violentes m'avaient hérissé les poils.
    Que vous parliez de "Tahar Ben Jelloun" je vois à peu près ce que pourrait être sa traduction (...)

    Merci pour votre partage.
    Bien à vous,

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