vendredi 6 juillet 2018

Qui a tué mon père de Edouard Louis


On a beaucoup vu, lu, entendu Edouard Louis dans tous les médias qui font l'opinion. On a écouté son cri de rage, ses colères froides autour de 3 thèmes assez sympathiques ( l'influence de la politique sur le corps des masses laborieuses, la fabrication des pseudos mâles avec une masculinité exacerbée par la contrainte sociale et ses diatribes bienvenues contre Emmanuel Macron). Cela a donné des interviews plutôt passionnantes car sortant du cadre lénifiant ambiant et provoqué l'envie de se jeter dans le troisième ouvrage de ce jeune prodige en haut de l'affiche depuis maintenant 4 ans. " En finir avec Eddy Bellegueule" et " Histoire de la violence" ses deux précédents ouvrages avaient une certaine force même s'ils laissaient un certain malaise s'installer ( Sincérité fabriquée ? Posture ? ).
Et donc j'ai lu " Qui a tué mon père".... J'en suis encore tout retourné ne comprenant pas toutes ces dithyrambes pour ces quelques 85 pages de raccourcis et de propos de comptoir ! En refermant le livre, j'ai eu l'impression de lire un produit marketing parfumé au politique et à la pseudo pensée philosophique, mais surtout ultra light !
Si l'on analyse un petit peu le propos de ce texte paraît-il écrit pour le théâtre ( bon courage au comédien ...et aux spectateurs) et se divisant en trois parties, il y a trois idées.
La première est le portrait totalement réévalué du père d'Edouard Louis ( par rapport à Eddy Bellegueule), qui, soudainement passe du statut de gros beauf connard à un mâle fragile enfermé dans une masculinité qu'il ne voulait pas. Pour illustrer le propos, nous avons droit à quelques anecdotes un peu trop belles pour ne pas douter de leur véracité : papa pleure en cachette en regardant un opéra à la télévision, papa  aimait danser, ...  Si ce discours sur la masculinisation forcée des hommes ( valables pour les femmes aussi) reste évidemment réel et encore peu abordé, l'écriture platounette et accumulant quelques clichés amoindrissent le propos ( Eddy de Pretto avec sa chanson "Kid" est bien plus pertinent et percutant), surtout quand Edouard Louis conclue avec une équation très péremptoire :
Haine de l'homosexualité = Misère
Mouais, ça n'élève pas le niveau même si cela peut être vrai dans la couche sociale évoquée ( et encore...) mais c'est quand même oublier, entre autre,  cette bourgeoisie bon teint, loin d'être pauvre mais franchement  haineuse qui marchait contre le mariage pour tous.
Ensuite le texte s'emballe pour une idée très pertinente, très marquée " Bourdieu" sur les marques que laisse la politique sur les corps des travailleurs pauvres. L'idée est belle, totalement en phase avec les politiques libérales menées depuis longtemps, mais méritait un traitement bien plus approfondi que celle choisie par l'auteur et ne tournant qu'autour de son père. On reste sur notre faim même si la dernière partie lorgne vers une sorte de " J'accuse " ( en version très très light) nommant tous les hommes politiques français de Chirac à Macron qui, à cause de leurs lois infâmes ont marqué encore plus durement les corps. L'écriture prend de l'emphase, se gonfle un peu...mais façon gros melon, puisque fort de ses ouvrages traduits dans 30 pays, Edouard Louis écrit : " je veux qu'ils soient connus maintenant et pour toujours, partout, au Laos, en Sibérie et en Chine, au Congo, en Amérique, partout à travers les océans, à l'intérieur de tous les continents, au-delà de toutes les frontières." C'est beau cette ambition naïve, mais savait-on pas déjà que nos dirigeants n'avaient rien de bons samaritains répandant le bien pour les plus démunis ?
Ce livre aurait dû me galvaniser, surtout qu'il prône un appel à la révolution ...mais non, il m'a déprimé. Le tam-tam médiatique occasionné par ce petit texte pas écrit, peu étayé, laisse songeur. Sans doute, Edouard Louis, en vieillissant, réajuste-t-il le rôle de ses parents ( tout à fait humain ) mais en voulant donner à cela une portée politique, il sombre à nous produire  un objet totalement marketing, parfaitement dans l'air du temps ( un mélange de vitrine, de facilité et de clichés) et devient du coup à la politique et à la pensée ce qu'est Agnès Martin-Lugand à la Littérature.
Il vaut mieux lire ou écouter ses interviews, bien plus captivantes. Edouard Louis ne serait-il bon qu'à l'oral ? 

2 commentaires:

  1. Son premier livre m'avait profondément agacée et je ne l'ai pas trouvé bon à l'oral quand je l'avais vu dans un festival littéraire. Par contre, il m'avait profondément touchée car il souffrait visiblement d'être là.

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  2. Je suis d'accord avec vous. A faire jouer des antagonismes rudimentaires, pas très convaincants... il a épuisé son registre. Au prochain livre, ce sera sa mère la lionne qui a tout causé. Et au prochain, on aura le système médiatique qui a causé sa perte. Et ainsi de suite... Quoique, non, faut pas abuser... On garde les pions médiatiques. Au passage, il pourrait aussi nous raconter qu'un garçon d'extraction modeste a intégré l'ENS. En Angleterre, ou aux USA, il aurait eu une probabilité plus faible de tracer ce parcours, mais bon, ce n'est pas vendeur, c'est sûr...

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