mardi 26 août 2014

Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive de Christophe Donner


Pour chaque chaque rentrée littéraire, il faut, à la presse, trouver un thème saillant parmi les plus de 600 parutions dans le domaine romanesque. Il y a eu l'année de l'autofiction, celle du roman historique même celle du roman hystérique. Cet automne, c'est le biopic ! Les écrivains français ont pris des personnages célèbres pour écrire leur vie ou un moment de leur histoire, tout en imaginant certains passages. Effet de mode ? Hasard ? Peu importe, mais la phrase qui sert de leitmotiv pour essayer d'intéresser les quelques lecteurs de roman et de biographie a été prononcée par Jérôme Garcin sur France Inter l'autre matin. Il se demandait si " le roman ne dit pas davantage la vérité que la biographie"... phrase  reprise peu ou prou partout ailleurs. J'ai donc adhéré à l'air du temps en choisissant le nouveau Christophe Donner qui se penche sur la vie de Jean Pierre Rassam, un producteur de cinéma.
Première constatation en refermant l'ouvrage : quel personnage ! Intelligent, riche, hâbleur, outrancier, bon vivant (cigares, alcool et putes de luxe par paquets de 3 ou 4), déjanté,cocaïnomane puis  héroïnomane puis opiomane, fantasque, impulsif, joueur, .... la liste est longue pour qualifier et cerner cette figure maintenant légendaire du cinéma de la fin des années 60 et des années 70. Le livre va à 100 à l'heure comme le personnage. On suit ses coups de gueule ou ses coup de coeur comme ses coups de folie sans s'ennuyer une seconde. Si l'on est passionné de cinéma on prendra plaisir à découvrir les coulisses du montage de certains films comme "Nous ne vieillirons pas ensemble" de Maurice Pialat ou  "La grande bouffe " de Marco Ferreri. Si on l'est moins, on s'étonnera peut être de la truculence du producteur mais on risque de se noyer dans les détails autour de longs métrages moins connus.
J'aime le cinéma et j'ai donc été très intéressé par l'ouvrage. Cependant, est ce que c'est forcément un bon roman ?  Christophe Donner aurait pu suivre par exemple la trace de Patrick Deville qui, il y a deux saisons, avec " Peste et choléra" avait sublimé la vie du chercheur Alexandre Yersin par une densité romanesque et un montage original. Hélas, malgré quelques flash backs ici ou là, c'est la linéarité qui est choisie dans " Quiconque exerce....", l'auteur se contentant de broder quelques dialogues ou de conter avec verve certains moments forts (le sauvetage des jumeaux de Milos Forma au moment du printemps de Prague). Et cette chronologie, aussi confortable soit elle, cache un certain manque d'inspiration d'autant plus que Jean Pierre Rassam n'est au final pas tout à fait le héros du livre. Claude Berri, son beau frère, lui aussi producteur, rival du premier, occupe beaucoup de place dans le récit. Difficiles à dissocier puisque leurs parcours sont parallèles et familiaux, ils représentent tout à fait les duos antagonistes de tout un tas de comédies rigolotes françaises. Plus terne en apparence, Claude Berri fait pourtant de l'ombre à Rassam et pas qu'au niveau de la production ! Il dévie le romancier de son personnage principal, peut être pour masquer un manque d'éléments, de matière sur Rassam qui n'a pas eu le temps comme Berri de conter sa vie dans un livre. Le biopic se termine lorsque le truculent producteur entame une terrible traversée du désert qui l'amènera jusqu'à la mort. La dizaine d'années qui lui reste à vivre étant bâclée en 14 lignes, je suis resté un peu sur ma fin. A mon humble avis, il y avait là un vrai sujet ou même matière à broder pour un roman/biopic. Mais peut être est-ce encore un sujet sensible ? Les personnes qui l'ont accompagné durant cette période étant encore en vie (Carole Bouquet son épouse ), j'imagine bien qu'il soit difficile d'aller s'aventurer à romancer quoique ce soit.
Si vous êtes un tant soit peu intéressé par le cinéma, vous aurez du plaisir à lire le dernier Donner. Vos clichés de producteurs seront confortés. Oui, on couche beaucoup dans le milieu du cinéma pour arriver à pas grand chose, oui, on claque du fric de façon indécente, oui, on nous fait prendre des vessies pour des lanternes (Godard). Je devrais parler au passé puisqu'il s'agit des années 70....
C'est alerte, facile à lire. C'est déjà ça ! Mais de là à faire passer " Quiconque exerce ...." pour un grand roman, c'est une frontière que je ne franchirai pas. Parfois, je me demande si les attachés de presse ou d'autres protagonistes de certaines oeuvrettes n'appliquent pas à la lettre la phrase de Jean Pierre Rassam, lancée aux journalistes pour la sortie du "Vieil homme et l'enfant" : "Je peux même vous sucer la bite si vous me faites un bon papier ".


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