samedi 4 juillet 2015

Mustang de Deniz Gamze Ergüven


Tels les mustangs passant de l'état sauvage à la captivité en vue du rodéo, les cinq soeurs turques du film de Deniz Gamze Ergüven, après une enfance libre chez leur grand-mère, se retrouvent enfermées à la maison. Leur rodéo à elles, sera d'une autre teneur et s'appelle  mariage. Elles seront dressées pour être ensuite proposées à un futur mari choisi par la famille et le voisinage. Mais dans la troupe, toutes ne sont pas dociles et le domptage de certaines s'avérera plus difficile.
Il ne fait  pas bon vivre dans les contrées reculées de Turquie, les traditions ont la vie dure et sous couvert de la religion, on les perpétue sans trop se poser de questions. Vu d'Europe, ça évoque plus la foire aux bestiaux que la rencontre sur Tinder (quoique en y regardant bien, ces deux extrêmes peuvent se rejoindre) et bien sûr nous sommes prompts à nous indigner devant ces destinées mutilées. Le parcours d'une fille provinciale turque est tracé d'avance, marchandise humaine proposée par les mères ou grand-mères pour des hommes qui, même si puissants, sont tout aussi dupés par le marché. Le désir est fabriqué, le mari doit honorer comme il se doit l'épouse choisie pour lui et la femme lui offrir d'abord sa virginité puis un orifice pour la reproduction. Echapper à ce destin est difficile. La solution pourrait être la fuite à Istanbul, ville de plus grande liberté mais elle est à 1000 km ! Mais au 21 ème siécle, la révolte peut surgir à force de macération et de ressentiment.
C'est cette montée inéluctable vers la rébellion que nous montre le film, profondément féministe bien sûr, mais surtout parfaitement réussi. S'appuyant sur un scénario habile mais somme toute convenu (on voit bien jusqu'où il va aller), la réalisatrice apporte une écriture très personnelle, très inspirée. Une caméra nerveuse mais caressante scrute ces jeunes filles, attrape à la volée des regards, des gestes, magnifiant leur beauté comme le ferment de leur révolte. La radicalité du propos est tempérée par une lumière estivale qui court sur les  héroïnes, comme si la liberté se puisait dans les rayons du soleil. Le regard de Deniz Gamze Ergüven est profondément humaniste, présentant les mères prises au piège du respect des traditions et les hommes guère plus avantagés par des choix qu'ils ne maîtrisent pas. Leur sexualité imposée les dirige vers des pratiques interdites (ici des viols incestueux ), les femmes étant bien sûr les grandes perdantes de tout ce cirque où l'humain est considéré comme du bétail.
Alors que le film nous montre une terrible réalité, l'espoir est quand même là, dans la force de caractère de la cadette des cinq soeurs, qui observe et prépare le combat. Et c'est sans doute ce regard, plus que les autres, que nous conserverons en mémoire, symbole d'un avenir que l'on peut espérer plus radieux même si le chemin semble encore long pour y arriver. Cet espoir, tout comme l'infinie grâce et les propos percutants de ce premier film font que l'on sort de la salle avec la délicieuse impression d'avoir vu du bon, du vrai cinéma, celui qui prend autant au coeur qu'aux tripes !



2 commentaires:

  1. Bonsoir Pierre, tu as été autant séduit que moi par ce film. Merci et bonne soirée.

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  2. Idem!! Quel merveilleux moment de cinéma!

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