samedi 19 septembre 2015

La maladroite d'Alexandre Seurat


Un récit sec aux allures de dialogues, qui n'en sont pas. Les intervenants parlent à tour de rôle mais ne communiquent pas entre eux. Ils parlent de Diana, petite fille fragile, que tout le monde soupçonne de subir des violences au sein de sa famille mais que l'on n'arrive pas à faire parler. Le récit que tous les témoins de cette histoire (vraie) égrènent, raconte cette sordide histoire sans laisser aucun échappatoire au lecteur. On se trouve en quelques phrases au coeur de ce fait divers, face à ses propres sentiments. On pourrait croire aux minutes d'un procès mais c'est plus intime et c'est surtout sans jugement. Ces hommes et ces femmes s'expriment simplement, humainement et nous obligent à s'interroger sur notre comportement en de telles circonstances.
Le récit est terrible car terriblement bien écrit. L'enfance maltraitée, la violence d'un papa et d'une maman, ça existe, même au-delà de l'imaginable. Ce livre est un coup de poing dans le ventre, une déflagration qui va au-delà de la tragédie. Et l'on ne peut que se questionner sur les rouages grippés qui n'ont pu empêcher cette tragédie. Si notre jugement est clément par rapport aux comportements de ces hommes et femmes qu'a pu rencontrer la petite Diana, le livre, en creux, de par sa construction et sa sécheresse, met en évidence l'évidente solitude de ces professionnels. Ils communiquèrent beaucoup, au mieux par téléphone, sinon par des formulaires froids et administratifs, paperasse sans vie soumise à des réglements trop rigides, mais ils restèrent seuls avec leurs doutes, leurs présomptions, leur mal être. Victimes non consentantes d'une société qui s'enferme derrière des règlements, niant les échanges simples et élémentaires, ils sont les parfaits exemples d'une époque soi disant communicante mais qui a réussi à effacer l'essence même des rapports l'humain : les contacts réels. Face à ces parents qui eux maîtrisaient leur communication, ils ne furent que des pions esseulés, qu'aucune administration n'a eu idée de réunir pour faire jaillir leurs doutes, leur désarroi et surtout la vérité. Diana est évidemment la victime de parents désaxés mais aussi quelque part celle d'une société trop normée.
Ce court récit d'une tragédie moderne et effrayante où l'extrême solitude de tous les protagonistes nous foudroie littéralement, laisse une impression durable et amère, empreinte indélébile que seuls les romans réussis sont capables de faire naître. 

1 commentaire:

  1. Ce livre m'a bouleversé, il m'a replongé dans mon expérience professionnelle. Malheureusement, il existe encore aujourd'hui trop de failles dans notre système de protection: une discontinuité entre les nombreux acteurs et le suivi, la non reconnaissance de la maltraitance psychologique, qui est le propre de la fracture invisible... On ressent le malaise des professionnels, leur isolement, leur échec, leur incompréhension suite aux enquêtes classées sans suite; face à toute cette machine très codifiée dans laquelle l'essentiel est oublié: l'Humain. (et puis je m'arrête là, car vous avez encore une fois trop bien retranscrit ce que l'on ressent après la lecture de ce livre, avec des mots encore mieux choisis!)am

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