jeudi 5 juin 2014

Bird people de Pascale Ferran


Ce soir, j'ai envie de tout laisser tomber . Qu'est-ce que je fous devant mon écran à vouloir donner mon avis sur ce film ? Ne pouvais-je pas tout simplement en discuter avec la petite dizaine de personnes qui était dans la salle avec moi, qui a quitté le cinéma silencieusement, sans un regard pour personne, regagnant son univers intime pour, peut être aller lire mon billet ou celui d'un(e) autre sur un site internet ? Ai-je vraiment besoin de cet écran lumineux et froid pour prouver que j'existe ? Vous allez dire que je fais mon Garry et vous aurez raison.
Vous ne connaissez pas Garry ? C'est un des deux personnages principaux du nouveau film de Pascale Ferran. C'est un cadre très supérieur, overbooké, toujours entre deux avions et négociant des affaires en millions de dollars. Un matin, après une nuit d'angoisse dans une chambre d'hôtel de Roissy, il décide de tout plaquer. Exit boulot, femme et enfants. Il décroche. Ras le bol de ce libéralisme aliénant. Marre de n'être qu'un soldat d'une guerre qui ne dit pas son nom. Il s'offre une autre vie sans pour autant laisser de côté cette technologie devenue indispensable au genre humain. Il continue de communiquer par sms, mail et rompt avec son épouse dans une hallucinante scène de rupture via Skype. Toujours branché mais défait des liens de la productivité, il s'offre un nouveau chemin.
Garry, c'est un peu nous, tout comme l'autre personnage du film, Audrey, étudiante travaillant comme femme de chambre dans ce même hôtel international. Silencieuse et efficace, elle pénètre dans ces bulles d'intimité éphémère que sont les chambres de cet établissement. Son côté romanesque et rêveur lui fait imaginer des vies à la simple vue d'un billet d'avion ou d'un propos glissé dans un smartphone par une cliente errant dans un couloir. Besoin de rêve pour une jeune fille à la solitude latente et percevant toute la précarité d'un monde à la dérive. Elle aussi connaîtra l'euphorie de la liberté grâce à une originalité scénaristique dont je tairais la teneur.
"Bird people " est un film d'une profonde originalité car c'est un film LIBRE . Pascale Ferran, grâce à un scénario impeccable et surtout à un regard de grande cinéaste, nous offre une leçon de liberté. Liberté de traiter son sujet sans aucun cliché, aucune convention, utilisant le romanesque comme le fantastique, la philosophie comme la sociologie, nous collant Mathieu Amalric narrateur le temps d'une scène, s'attardant sur des personnages secondaires comme sur d'infimes détails pour mieux revenir ensuite sur ses héros, s'offrant des trucages numériques dans un film résolument art et essai. C'est plein comme un oeuf, cela nourrit le spectateur et bien qu'il se passe pas grand chose, on ne s'ennuie jamais. Le film nous parle, nous donne à réfléchir, réagir, s'interroger. C'est peut être cette puissance narrative qui fait que le spectateur sort de la salle si silencieux... le film résonne fortement en lui.
Vous connaissez beaucoup de film qui vous font ressentir physiquement, par deux fois, le vent frais du soir lorsque l'héroïne décide de se promener sur la terrasse de l'hôtel ? C'est ce genre de sensation (et beaucoup d'autres) que Pascale Ferran nous fait éprouver pendant les 2h08 que dure la projection. A mille lieues d'un cinéma commercial formaté, "Bird people" est vraisemblablement le film français le plus intéressant que l'on ait pu voir depuis au moins six mois. Contemporain, original, politique et romanesque, c'est sans tarder qu'il faut découvrir ce vol cinématographique vers les contrées du grand cinéma d'auteur !



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