Ah les ressources humaines d'une grande entreprise ! Voilà, bien un sujet important dans la vie de millions de salariés mais tellement peu cinématographique. Pourtant, à l'instar du théâtre ou de la littérature, le cinéma commence à s'y intéresser. Cet hiver, Louis-Julien Petit nous avait proposé " Carole Matthieu" de bien sinistre mémoire, le film se perdant à essayer de caser une Isabelle Adjani, statue spectrale, dans une intrigue fort tordue. Nicolas Silhol, pour son premier long-métrage, créé un scénario efficace ( avec son complice Nicolas Fleureau ), inspiré de la vague de suicides chez Orange et troque surtout le fantôme de la Reine Margot par une comédienne autrement plus présente, en la personne de l'excellente Céline Sallette.
Monté comme un thriller froid et glacial, le film nous projette d'emblée dans un univers chic et brillant de bureaux au design métallique, dans lequel évolue un personnel lisse et formaté. Dans cette entreprise dont on ne perçoit d'ailleurs pas trop ce qu'elle peut bien produire...du tertiaire évidemment, mais lequel ? Du conseil ? De la gestion ? Peu importe, le principal, c'est que tout le monde doit bosser, y croire et si possible sans rechigner. Seulement, nous vivons dans un monde d'images et l'image, c'est important pour une entreprise. Tout doit être conforme au décor..et certains employés, sans doute présents depuis trop longtemps ( et ayant échappé aux charrettes de précédentes fusions ou rachats), dépareillent un peu. C'est pour pousser vers la sortie ces employés devenus obsolètes aux yeux d'un patron moderne lui aussi, ( on dit aussi libéral ou néolibéral...) que notre héroïne Emilie Tesson-Hansen est embauchée. Les méthodes qu'elle emploie sans barguigner, soufflées par un chef au cuir tanné par la bourse, possèdent une certaine radicalité, puisqu'elles poussent ce pauvre Dalmat, employé déjà mis finement à l'écart, à se suicider sur son lieu de travail.
Au-delà du scandale, de l'émoi provoqué et de l'image ( toujours elle ) qui écorne l'entreprise, une enquête sera conduite par une inspectrice du travail intransigeante.
Le film, très habile dans la construction de son récit, ménage suspens et rebondissements mais surtout passionne, car dresse en plus le portrait d'une femme ultra performante qui va progressivement prendre conscience du pouvoir abject de son boulot tout en s'apercevant que ce délicieux milieu qu'est l'entreprise, va essayer de se débrouiller pour qu'elle soit la seule à porter le chapeau. La réalisation, froide mais efficace, éclaire formidablement les ressorts ignobles qui règnent au sein de cette société et surtout met en avant Céline Sallette, absolument formidable dans son rôle de directrice des ressources humaines, passant avec subtilité de la femme froide et sûre d'elle, à la femme qui doute, puis en colère.
"Corporate", thriller sociétal très efficace, réussit à nous passionner mais aussi à questionner nos comportements et ceux d'une société gangrénée par des rouages libéraux intransigeants et pleins de roueries, dont les fameuses ressources humaines sont une des faces mielleuses et perfides.
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