vendredi 16 septembre 2016

Sauve qui peut (la révolution) de Thierry Froger


Ah les premiers romans ! Souvent autobiographiques comme par réflexe, les "jeunes" auteurs plongent avec un brin de narcissisme dans ce tiercé pas toujours gagnant que sont ma vie, mes amours, mes emmerdes. Certaines fois, c'est la réalité  mais l'on se demande si ce n'est pas inventé ( Edouard Louis, il n'y a pas très longtemps) et d'autres fois tellement réel que la question de l'autofiction ne se pose pas alors que ... ( Mathieu Bermann cette rentrée). Et puis, il y a des exemples plus complexes, des romanciers plus subtils ou plus pudiques, qui pensent "fiction" avant tout.
Thierry Froger avec son premier opus de romancier, semble prendre cette option en nous livrant une intrigue totalement originale et apparemment très loin de sa vie. Ici pas d'amants, pas de maîtresses, pas de traumatismes enfantins, pas de deuils, pas d'addictions, rien que du roman, de l'inventé.
Le roman tresse deux histoires génialement imbriquées. Nous suivront deux personnages que tout oppose : Danton et Jean-Luc Godard ! Le premier, par la grâce du romancier, a échappé en 1794 à la guillotine et se retrouve exilé sur une île de la Loire où il va installer une sorte de république locale, continuant à mettre en pratique ses idées révolutionnaires. Le second se verra confier par la mission du bicentenaire de la révolution, la réalisation d'un film grand public pour célébrer l'événement. Cette  proposition insolite faite à notre très hermétique cinéaste suisse ne verra pas le jour, malgré la rédaction de nombreux scripts tous plus délirants les uns que les autres. Par contre ce sera pour lui l'occasion de retrouver un ami du temps où il était maoïste, historien, mais surtout père d'une charmante jeune fille de 19 ans, Rose...
A partir de ce canevas pour le moins original, Thierry Froger saute sans arrêt de l'uchronie autour de Danton qui le mènera de la Loire à l'île d'Elbe où il croisera Napoléon Bonaparte, aux démêlés de Godard avec la commission du bicentenaire, ses scénarios improbables et son histoire d'amour avec Rose. Finement entremêlés, ces vies se répondent, font écho entre elles, un peu comme les scripts successifs de Jean-Luc Godard qui regorgent de ce qu'il vit. Le temps qui passe sur les idées révolutionnaires comme sur des hommes mis à l'épreuve autant par les corps que par la vie qui file, est sans doute le thème central du livre. On sent que l'auteur connaît tout son Godard sur le bout des doigts, a lu et vu toutes ses interviews. Il nous le restitue aussi puant que drolatique, aussi touchant qu'agaçant, créant ainsi un  vrai personnage romanesque. La vie supposée de Danton n'est pas en reste, croisant ainsi des faits historiques ou des anecdotes anciennes qu'il aurait connu s'il avait survécu. Et puis, aux détours de quelques pages nous rencontrons aussi de multiples célébrités de Michelet l'historien jusqu'à Isabelle Huppert ( géniale lettre à Godard) en passant par Marguerite Duras ou Fellini.
Tout cela semble bouillonnant mais tient parfaitement la route et s'accompagne d'une écriture tour à tour somptueuse, ample, baroque, tumultueuse, tendre, nostalgique, ressemblant à s'y méprendre à cette Loire, figure quasi centrale de ce roman. Je pourrai faire des pages de citations, de belles phrases, de paragraphes que l'on prend plaisir à relire ( oui la lecture est plus longue qu'à l'habitude, on s'enivre de la luminosité et de l'inventivité du texte, on musarde, on prend son temps dans sa lecture)... Non il vaut mieux que vous y alliez de vous même voir de quoi il en retourne. Pour le plaisir, juste une : " Il avait perdu le goût des femmes à mesure que le destin ne permit à aucune d'elles d'avoir le goût de lui."
Dans ce torrent d'idées, de situations je pense quand même que l'auteur se livre un peu ( normal non ? ). N'est-il pas ce révolutionnaire que l'énergie quitte petit à petit ? N'est-il pas cet homme qui espère encore à la passion amoureuse malgré un corps qui vieillit? N'est-il pas l'amoureux de ce fleuve dont la vraie singularité n'est pas d'être le plus long du territoire mais celui de toutes les lumières, de toutes les rêveries ? N'est-il pas cet amoureux des arts et du cinéma en particulier ? N'est-il pas un homme de grande culture qui sait la partager sans nous ennuyer ? N'est-il pas ... ? A vous de compléter une fois terminé "Sauve qui peut ( la révolution) ", les pistes ne manquent pas dans ce formidable premier roman ambitieux et réussi qui marque une très belle entrée dans le paysage littéraire.

3 commentaires:

  1. Belle critique, j'ai hâte de le lire ... Merci!

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  2. Marie-France septembre 2017
    J'ai tenté, je dis bien tenté de lire.N'y suis pas arrivée. Trop lourd, alambiqué, décévant. Désolée

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