De Télé Z ( si, si, j'ai vérifié !) à Télérama, "La douleur " fait l'unanimité. Portant le label "Film Inter" on a entendu tous ses acteurs ( même Grégoire Leprince-Ringuet qui apparaît fugacement en Morland/Mitterrand) squatter toutes les émissions de la radio publique ( alors que RTL doit faire un tapis rouge aux Tuche 3). Comme nous sommes en présence d'un vrai film d'auteur, en plus adapté d'une gloire littéraire française, Marguerite Duras, l'œuvre suscite un curiosité sans pareille.
Incontestablement "La douleur" de Emmanuel Finkiel ne peut laisser indifférent en premier lieu par son sujet et son rapport à l'Histoire, mais aussi par sa lecture de l'œuvre de Duras, par sa forme, sa mise en scène et son interprétation, le tout s'enchevêtrant comme rarement au cinéma.
Au départ, nous avons un roman de Duras qu'elle présentait comme un journal retrouvé dans une armoire ( mais on sait depuis que le manuscrit avait été très travaillé, l'écrivaine cherchant à se fabriquer une certaine image) et narrant l'arrestation de son mari de l'époque, Robert Anthelme, écrivain mais aussi résistant, puis son attente à elle jusqu'au retour des camps de son époux, puis sa lente guérison. Le film pour cela reste fidèle à l'esprit du livre ( sauf pour la dernière partie, justement occultée pour ne se concentrer que sur le personnage de Marguerite), mêlant grande histoire et petite pour mieux nous faire saisir l'atmosphère si particulière de l'époque. A l'écran, la reconstitution se révèle habile même si minimale ( le budget sans doute..). Si les décors sont seulement suggérés car très souvent en seconds plans floutés, montrant ainsi l'isolement et la solitude de cette femme aux aguets, la bande son, ultra précise, joue un grand rôle pour recréer cette période. Seules les nombreuses tenues pimpantes de Marguerite viennent pâlir cette évocation ( nous sommes en 1944/1945, les chemisiers provenaient plus certainement des doublures usées de vieux manteaux habilement transformées que de la dernière boutique en vogue, même pour Duras qui à l'époque n'était pas connue, n'ayant rien publié).
Nous suivons donc Marguerite, magnifiquement interprétée par Mélanie Thierry, jouant au chat et à la souris avec un inspecteur collabo puis attendant, comme beaucoup à l'époque, le retour incertain d'un proche. Cette douleur que décrivait Marguerite Duras est donc celle qu'une femme ( elle, mais peut être une autre, sans doute une autre, mais un peu elle quand même... ) éprouve durant ce temps interminable du retour hypothétique d'un être cher, peut être aimé. Dans le roman, c'est précis, même si l'on est étonné qu'au détour d'une page, alors qu'elle soigne ce mari revenu de l'enfer, soudain sans que presque rien ne l'annonce, elle déclare qu'elle veut le quitter pour faire un enfant avec un autre, nous sommes bien dans une évocation de cet état douloureux. A l'écran, Emmanuel Finkiel traque cette attente avec empathie et finesse mais n'occulte pas non plus la liaison de Marguerite avec Dionys Mascolo. A cette douleur de l'attente qu'une épouse se devait d'avoir, s'en mêle donc une autre, plus ambiguë, de la femme qui, malgré tout, en aime un autre. Mais entre l'envie de respecter le thème du livre et celle de l'adapter sur une réalité que le roman n'arrivait pas à occulter, le film hésite un peu. Si l'on voit que Marguerite a une liaison avec Dyonis, que ce dernier est fort amoureux, à l'écran, elle semble ne rien éprouver pour lui. Du coup la douleur due à cet arrachement entre le devoir et l'amour, passe sensiblement à la trappe, pour, me semble-t-il, se concentrer surtout aux moments de tensions temporelles ( sauf à l'extrême fin).
Quoiqu'il en soit, malgré quelques petits bémols ( auxquels je peux rajouter une musique dissonante, clichetonne mais surtout énervante) "La douleur" se révèle être un film passionnant qui ne laissera personne indifférent. Que l'on soit connaisseur ou pas de l'œuvre de Duras, amateur ou pas de cinéma intimiste et d'auteur, les partis pris de mise en scène, la qualité de l'interprétation, les thèmes développés ne peuvent que toucher le spectateur et très certainement susciter la discussion. De celui qui va trouver le film lent et parfois répétitif à celui qui sera ému aux larmes, nul doute qu'autour d'une table, les langues iront bon train. C'est le propre des œuvres de grands réalisateurs et nul doute qu'Emmanuel Finkiel en est un.
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