Rude tâche pour moi ...Je vais dire du mal d'un livre à priori intouchable. Comment critiquer le récit d'un homme qui vient de perdre son épouse après presque 30 ans de vie commune, 30 ans d'un amour sincère ? Comment faire la fine bouche devant ce portrait d'une romancière que j'ai adoré, dont j'ai lu et relu toute l'oeuvre ( certes peu d'ouvrages, toujours secs et courts, sauf le dernier ) ? Suis-je donc sans cœur pour ne pas avoir été touché par ce portrait en creux d'une femme de caractère, sans doute assez magnétique ?
Non, je n'ai pas été ému par ce pourtant pudique et jamais larmoyant récit. Je ne remets pas en cause la sincérité de l'homme en deuil, et de l'insupportable vide de l'absence qu'il ressent autour de lui.
Mais cette peine, ce chagrin, cet amour désormais quasi éternel se sont trouvés, pour moi, noyés par une suffisance de bourgeois intello. Il n'y a pas un moment où nous ne sommes privés de l'étalage de tous les attributs de nantis parisiens. On relate avec verve l'achat difficile de " la maison du bonheur", propriété située sur l'Ile-aux-Moines qu'une amie décoratrice d'intérieur va fort heureusement transformer avec soin ( on perçoit que l'on n'a pas lésiné sur les moyens). On cite longuement, on énumère la liste de ses amis proches, si émus, si forts face à la mort de leur copine, qui se sont succédés à l'hôpital Bichat, surtout quand il s'agit de Catherine Deneuve, Michel Houellebecq,
Je me suis demandé à qui s'adressait ce livre. Certainement pas au humble lecteur ( qui a pourtant comme moi dépensé 18 euros de son petit traitement ) ayant envie de retrouver encore une fois une romancière appréciée. Encore moins à une personne lambda ayant perdu un(e) conjoint(e), la tristesse de certains pourrait pourtant être universelle, mais pas ici...
"Les bouées jaunes " est un récit de l'entre soi, écrit pour une frange de happy fews qui seront sans doute heureux d'apparaître dans un bouquin écrit par l'un des leurs. Evidemment, Serge Toubiana trace un portrait tout empreint d'admiration et d'amour pour Emmanuèle Bernheim, mais le traitement bien plus hagiographique que littéraire, rend l'ensemble un poil imbuvable.
C'est dommage, j'aimais beaucoup l'écrivaine, son mari ne m'était pas antipathique, mais "Les bouées jaunes" ne m'ont pas empêché de couler.
PS : J'ai par contre été touché par les dernières phrases du livre, les seules peut être qui osent ( enfin ) parler du deuil de cet homme. Je les cite :
" Alors je me mets sur le côté droit et je glisse mon bras gauche sous l'oreiller d'Emmanuèle. Je pose ma main là où elle n'est pas. Où elle n'est plus. Et je caresse de mes doigts son absence. "
Je dirai que grâce à cet avis sur les "bouées jaunes", vous participez tout de même au nageur sauveteur, en faisant remonter à la surface d'anciens livres de cette auteure, qu'on a hâte de lire. Et merci encore pour vos balises littéraires!
RépondreSupprimerVoilà qui dit et joliment tourné. Je déteste ce genre de livres où l'on étale ses relations, comme si l'auteur avait peur de ne pas être connu par les siens et qu'il se fiche de son lecteur lambda. Par contre, je découvrirai bien Emmanuelle Bernheim
RépondreSupprimerJe ne l'ai pas lu mais dans le même genre et pour exactement les mêmes raisons, j'avais détesté le livre de Nathalie Rykiel sur sa mère disparue qui a pour titre: Ecoute-moi bien. Appart à Paris, maison sur l'île de Ré etc, etc... je ne m'étais VRAIMENT pas sentie concernée par le propos...
RépondreSupprimerCe qui me gêne dans ce genre de récit, c'est l'étalage intimiste avec comme discours derrière (radio par exemple) "je l'ai écrit pour moi...je voulais lui rendre... ce qu'elle m'a donné,... etc." On ne peut pas dévoiler un récit intimiste pour rendre hommage et en tirer un bénéfice. Des millions de gens dans le monde vivent des deuils difficiles, des millions de gens vivent avec une maladie incurable ; parmi ces gens, certains tiennent un journal ou un carnet pour vivre avec, d'autres chantent, d'autres dessinent, quelques-uns sculptent un morceau de bois avec un canif adossé à un arbre, d'autres montent sur une montagne et observent les oiseaux, quelques fois simplement sur un talus ; certains vont au milieu d'une plaine et hurlent à pleins poumons. Quelques-uns en tirent un bénéfice, ce qui est contestable. Je pense, c'est mon avis.
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