Proposer un grand roman historique, inspiré de Jack London ( en version plus progressiste) et d'Alexandre Dumas mais empreint de quelques clins d'oeil psychologiques ou sociétaux vers notre époque, voilà l'ambitieux projet du troisième roman d'Emmanuelle Pirotte. Tumultueux, foisonnant, "Loup et les hommes" réussit-il son pari ?
Le talent de conteuse de l'auteure saute au yeux dès les premières pages. Elle manie avec verve secrets, vengeances, pardons, qui du "Comte de Monte-Cristo" (1844) à "Couleurs de l'incendie" (2018) ont fait leurs preuves surtout quand lorsque ces éléments s'agencent habilement dans le récit. Loup, le héros, sombre, cruel, puissant mais forcément tourmenté, éclaire le roman de sa prestance de presque surhomme. Son corps massif, musclé, tatoué, porte les marques de ses très nombreux combats. De ses innombrables saillies ( un héros puissant au combat l'est aussi sexuellement, il trousse sans ménagement les femmes et quelques messieurs aussi...) ne résulte qu'un seule descendance, un fille à la beauté ambiguë. Face à lui, son ( faux) frère, Armand, l'a fait envoyer aux galères une vingtaine d'années plus tôt. Nous sommes en plein XVIIème siècle et autant dire que c'était le condamner à une mort lente. Pétri de remords, et à cause d'une intuition, il partira à sa recherche dans le nouveau monde, ici le Canada que les français, les anglais et les hollandais se disputent et tentent d'arracher aux diverses tribus indiennes qui le peuplent. Ca tombe bien, Loup a justement réchappé à son sort de galérien et son charisme lui a permis de s'intégrer dans une de ces tribus. Voilà pour le point de départ. Vous y ajoutez des personnages secondaires attachants, de la violence ( ici à base de tortures très variées, l'époque n'avait que faire de la douceur, la cruauté était monnaie courante), des histoires d'amours ( évidemment, mais variées, pour tous les goûts), des balades guerrières dans de splendides paysages et vous avez le coeur d'une intrigue grandement romanesque.
Mais Emmanuelle Pirotte, si j'en crois la quatrième de couverture, en plus d'être romancière, est aussi historienne. Et cela se sent ! Le XVII ème siècle nous est dépeint sans concession. Exit les mignardises de tapisseries d'Aubusson ou la joliesse proprette de tant de romans historiques. Les êtres sont sales, puants, comme la plupart des lieux qu'ils fréquentent. Leur vie demeure loin du long fleuve tranquille puisque l'insécurité règne partout. Les religieux, aimant l'analphabétisme et la crédulité qui va avec, profitent de ce terreau idéal pour jouer sur la peur et imposer ainsi leurs improbables histoires. Le Canada de l'époque, ses nombreuse tribus indiennes qui le peuplent sont décrites dans les moindres détails. Cet arrière-plan historique foisonnant ancre le récit dans une réalité qui parfois résonne de façon très contemporaine...
Pour compléter cette riche intrigue, Emmanuelle Pirotte va aussi développer longuement le cheminement intérieur de la plupart des personnages principaux, dont la confrontation avec la violence mais surtout avec la nature ou les hasards de cette vie d'aventures, va les faire évoluer psychologiquement.
Beaucoup d'ambitions dans ce projet, mais peut être un peu trop, au détriment de ce qui fait un bon roman d'aventures : le rythme. Bien sûr, on s'enfonce dans le grand Nord canadien, curieux de savoir ce qui va bien pouvoir arriver à ces êtres ballottés mais leur course est ralentie ( enfin, plutôt notre soif de lecture) par un trop plein de psychologie un peu tirée par les cheveux ( trop actuelle du coup au regard de leurs actes spontanés et barbares) mais aussi par les évocations nombreuses de toutes ces tribus que l'on a du mal à resituer ou par cette envie de ne pas perdre le lecteur en lui rappelant assez souvent les faits principaux ( pas d'inquiétude Emmanuelle, un lecteur en 2018 est habitué aux flash-back ou aux changement de narrateurs).
"Loup et les hommes" séduit par son ambition mais n'arrive pas tout à fait à lier tous ses nombreux ingrédients pour nous livrer un roman totalement emballant. Toutefois, il est certain que des ouvrages de cette trempe romanesque ne sont pas légion en cette rentrée littéraire. Les amateurs du genre aimeront assurément s'y plonger.
Il me tentait bien.
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