dimanche 13 septembre 2020

Fille de Camille Laurens

 



Comment raconter le plaisir que l'on éprouve durant la lecture du nouveau roman de Camille Laurens ? Comment dire et redire que cette auteure s'adresse d'abord à notre esprit de la façon la plus belle, celle de raconter une histoire qui ne peut qu'apporter quelque chose à ses lecteurs ?  

Evidemment, on peut lire ici ou là, des critiques, certes excellentes, mais souvent parsemées de mots qui renvoient ce roman soit dans une énième autobiographie de femme, soit dans la catégorie des écrits féministes qui peuvent effrayer et faire lever les yeux au ciel de lassitude. Si  "Fille", par la narration de la vie d'une certaine Laurence Barraqué,  peut effectivement être perçue comme celle de Camille Laurens, en parcourant les pages, il s'agit bien d'un roman, en tous les cas il se lit comme tel ( même pour ses lecteurs assidus). Quant au terme " féministe", difficile de le récuser tant ici il imprègne chaque page, mais de la meilleure des façons, avec la douceur d'une déterminée qui sait parfaitement que rien ne vaut une bonne histoire pour faire passer un message. 

Et quel message ! Simone de Beauvoir avait jeté un pavé dans la mare en clamant : "On ne naît pas femme, on le devient.". Camille Laurens va plus loin, renvoyant pour toujours la phrase célèbre dans un passé encore trop marqué par le patriarcat. Son livre pourrait se résumer par : " On naît fille et la société fait tout pour qu'on le reste." On le savait déjà bien sûr. Certains pensent encore que cela concerne surtout des pays moins évolués où on peut tuer des filles à la naissance ou les exciser ou les marier de force ou les voiler ( anagramme de violer) de la tête au pied, que chez nous, pays occidentaux riches,  les femmes sont libres... Que nenni ! En racontant la vie de cette Laurence depuis l'enfance jusqu'à l'arrivée de sa fille à l'âge adulte, Camille Laurens, fait le grand inventaire de la vie de toutes les femmes piégées avant la naissance, en premier lieu par le vocabulaire, la grammaire, les mots. Par la suite s'ajouteront les regards d'une société évidemment patriarcale et dont les traditions, la religion, les règles sociétales, les enferment dans un rôle de subalternes, voire de moins que rien. 

J'en devine certains ( certaines aussi ! ) lever les yeux au ciel, en soupirant un " On a déjà lu ça 100 fois !". Non, jamais de cette façon. Il faut lire la ( grande) première partie, consacrée à l'enfance, racontée un peu comme un petit Nicolas au féminin, avec une drôlerie ultra mordante, diablement efficace, qui s'avère une sorte de réquisitoire imparable. Il faut continuer avec les pages beaucoup plus âpres sur la vie d'adulte, jamais excluantes pour les hommes même si profitant d'un système à leur faveur se concluant avec une petite touche finale d'espoir. 

Lire "Fille", c'est prendre un grand bol d'intelligence romanesque mais aussi sociologique. S'il y avait une vraie volonté de faire évoluer les choses ( et donc de commencer à changer un peu le monde), Jean-Michel  Blanquer, actuel ministre de l'Education Nationale devrait offrir ce roman à tous ses enseignants pour qu'ils se rendent compte du pouvoir qu'ils ont de bousculer les choses, rien qu'en changeant un tant soit peu et leur regard et surtout leur vocabulaire qui enferme pour toujours une moitié de l'humanité dans l'infériorité ( oui, toujours chez nous!). Et si les parents s'y mettent...

Il est rassurant de voir que "Fille" se trouve en très bonne place dans la liste des meilleures ventes de cette rentrée littéraire ( moins bien placé que le, quand même macho, "Yoga" ) et je ne peux que vous encourager à amplifier ce succès. Vous ne regretterez pas de lire un des romans majeurs de cette rentrée qui occasionnera des débats bien plus passionnants que de savoir si le yoga est bon pour sa psyché. 

 


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