jeudi 10 novembre 2022

Real Life de Brandon Taylor



Ce premier roman venant des USA, s'inscrit dans la longue liste des "campus novels" mais en faisant quelques pas de côté dans la narration et le contenu. Habituellement dans ce type de romans nous avons un étudiant ( ou un prof), blanc, porté sur la littérature voire la poésie et vivant quelques aventures amoureuses et intellectuelles. Brandon Taylor en s'emparant de ce genre assez codifié lui donne un côté plus décalé et soudain plus intéressant. 
Tout d'abord, il s'astreint à une unité de lieu ( le campus et un lac avoisinant) et de temps ( un week-end). Ensuite, il met en avant un personnage principal noir, gay, plutôt rondouillard et étudiant en biochimie (loin du blond américain riche et bien bâti lisant T.S. Eliot) . Dernier point et cela renvoie au titre du roman ( "Vraie vie") , le récit avance sous des apparences de banalités, de dialogues entre amis qui peuvent apparaître assez plats tellement ils sont quotidiens. Cependant, ne nous y trompons pas, l'intérêt du roman se situe ( tout du moins dans sa première partie) dans les couches souterraines d'une narration qui va au fur et mesure complexifier l'image de Wallace, le personnage principal et de Miller, son ami le plus proche. Nous allons pénétrer au plus profond des pensées de Wallace, sans bien toujours les comprendre car, en plus d'un rude passé familial, il sombre quand même dans une sorte de dépression qui lui fait ressentir les événements sous un jour pas toujours objectif. 
"Real Life" aborde une multitude de thèmes actuels, certains extrêmement bien rendus comme la place des noirs dans une université américaine, le regard qu'on leur porte ainsi que cette sensation que quoique l'on fasse, quoique l'on soit ( même un brillant étudiant ) on ne se sente jamais à sa place. L'homosexualité, les origines pauvres et les kilos en trop ne font qu'aggraver la perception du monde de Wallace, même si ces derniers éléments sont moins déterminants. Mais d'autres musiques viennent amplifier le récit, en sourdine certes, mais réellement présentes, comme celles de la honte qui pointe son nez par moment ou la peur d'un avenir, communes à tous les personnages qui, enfermés dans leurs hautes études sentent bien que la vraie vie se situe ailleurs et que cet ailleurs, même si jamais exprimé par convention sociale, reste aussi nébuleux qu'effrayant. 
L'autre grand thème de ce roman est la violence, terme générique mais qui, dans le roman, sera celle que l'on ressent par les regards, les rejets racistes, les paroles parfois anodines  ou l'interprétation pas toujours objective que l'on s'en fait lorsque l'on est dans un état dépressif. La violence physique sera abordée par le prisme du passé des deux jeunes hommes dont nous suivons le parcours. Chacun d'eux l'a rencontrée de façon très différente mais resurgit inexorablement dans leurs rapports sexuels. C'est sans doute le climax du livre, dérangeant, ambiguë de deux personnes qui, bien que toujours dans la douceur des sentiments et des relations, sombrent lors de leurs rapports sexuels dans la violence . 
Sans réellement parvenir à comprendre avec empathie les personnages de Wallace et de Miller, ce premier roman, jamais dans la facilité narrative pas plus que dans le romanesque,  ni même cherchant à plaire, parvient à laisser sourdre chez le lecteur un réel sentiment de malaise. La multiplicité des thèmes évoqués, la description clinique ( scientifique?) des rapports amicaux et humains font de "Real Life" un roman sacrément original et gonflé. 


 

 

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