samedi 13 février 2021

La familia grande de Camille Kouchner

 


Qu'écrire de plus sur ce roman qui a fait couler tant d'encre ? 

Sur l'inceste subi par le frère jumeau de l'auteure, rien de plus. La stupeur, le silence, l'emprise des proches pour garder l'omerta, l'hydre du remord qui consume les corps, les coeurs, qui bousille la vie, tout est parfaitement décrit, oppressant. Un témoignage implacable et courageux qui, on le sait, en plus d'avoir déboulonner la statue d'un porte-voix médiatique, permet de faire bouger la société sur ce sujet. C'est la deuxième partie de l'ouvrage, la plus forte évidemment. 

Toutefois, en plus du thème centrale de l'inceste, le livre questionne sur d'autres points, sans doute mineurs aux yeux de beaucoup, mais dont on ne peut faire l'impasse. 

Ce n'est pas un roman, mais un témoignage qui nous entrouvre les portes d'une famille connue médiatiquement. Du coup, notre regard est sans doute plus voyeur, plus acéré, plus critique vis à vis de ces personnes riches, qui brillent et qui pétillent dans une bourgeoisie de gauche facilement critiquable. Camille Kouchner, le sait. On le sent dans son récit. Elle ne peut faire l'impasse de raconter certaines choses qui expliqueront par la suite ce silence, mais louvoie énormément ( l'avocate qu'elle est, connaît les risques d'un trop grand dévoilement ). Alors le texte, surtout dans la première partie très biographique, paraît souvent elliptique, voulant plus suggérer adroitement des choses plutôt que les dire franchement, laissant le lecteur, imaginer, interpréter entre les lignes ( peut être mal ), les caractères de chacun. Avec une écriture assez maladroite, elle essaie de placer les personnages avec toute les ambiguïtés qu'ils suscitent et dans cet univers de la société française aisée des années 80 avec, au milieu, ce qui sera l'autre grand thème de ce livre, l'amour impossible qu'elle porte à sa mère, relation offerte à notre subjectivité. 

Sa mère est donc Evelyne Pisier, militante féministe, prof de droit, personnalité connue et reconnue du milieu germanopratin. Certains se souviennent sans doute du portrait enflammé qu'en avait dressé voici deux ans Caroline Laurent dans "Et soudain, la liberté". L'image, sous la plume pourtant aimante de sa fille, en prend un sérieux coup. Eprise de liberté, un peu libertine, mondaine de gauche, peu encline à s'occuper de ses enfants ( les nounous ça existe!) mais exigeante sur les résultats scolaires, parfois franchement méchante, cinglante, plus tard alcoolo et défendant l'indéfendable, cette mère a tout de la toxique dont l'idéal serait de la fuir, ce que n'arrive pas à faire Camille Kouchner, coincée avec l'idée qu'il faut aimer une mère. Donc, elle l'aime....à ses dépends ( du moins, c'est que que le lecteur ressent durant tout le livre) portant aux nues les quelques moments de complicités, ses yeux bleus et l'odeur de sa peau. C'est l'autre point fort du livre, cette relation bancale de quelqu'un de qui cherche un amour filial sans le trouver vraiment. 

Bien sûr, on pourra aussi trouver d'autres points d'accroche, comme la description des vacances au soleil où la liberté régnait, avec ce regard pudibond très actuel, qui fait facilement l'amalgame entre liberté des corps et inceste obligatoire, ce qui ressort de beaucoup de commentaires.  On peut se baigner nu dans une piscine l'été, chez soi et ne pas obligatoirement avoir envie de sexe avec des enfants.  On peut également profiter de ce livre pour encourager une certaine haine de ces élites, qui, en plus de la description de leur mode de vie, arrivent, même dans leur malheur, à en tirer un certain profit. Mais Camille Kouchner, répond ( indirectement ) dans son livre à cette critique en parlant de son père ( Bernard Kouchner) dont elle rappelle que ses combats ont porté leurs fruits grâce à ses réseaux. C'est sans doute le cas ici, doublé d'un grand courage. En effet, dénoncer publiquement cette omerta familiale est un acte infiniment courageux, surtout en sachant ce que, personnellement et familialement,  cela va déclencher.  Et quand, en plus, grâce à ce témoignage, notre société, avance et bouge ,on ne peut que remercier pour cet acte essentiel cette bourgeoisie ayant du réseau, que l'on disait autrefois éclairée et qui l'est donc toujours...au moins certaines.




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